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L’héritage d’Erard

Erard, Empire of the HarpDans son nouveau livre intitulé Erard : L’Empire de la Harpe, Robert Adelson désigne les membres de la famille Erard par leur prénom, réservant « Erard » à la maison Erard en général. La plupart des harpistes connaissent bien le nom de Sébastien Erard : deux siècles plus tard, tous les fabricants de harpes utilisent son mécanisme à double mouvement et ses disques à fourchettes. L’héritage de la maison Erard n’est cependant pas celui d’un génie solitaire. Il s’agit d’une extraordinaire histoire familiale, faite d’innovation et de passion pour la harpe.

Sébastien Erard était aussi attaché à la harpe qu’au piano. « C’était tout à fait inhabituel », remarque Robert Adelson. « D’autres facteurs, comme Pleyel, ont fabriqué des pianos et des harpes, mais la harpe de Pleyel est arrivée beaucoup plus tard. Leur harpe chromatique a eu une grande influence à l’époque, mais leur héritage est celui d’un fabricant de pianos. Sébastien a fabriqué les deux instruments très tôt, fondant la succursale londonienne d’Erard en 1792 uniquement pour construire des harpes. Il s’agit également d’une décision pragmatique, car il était difficile d’obtenir un brevet français pour le mécanisme à double mouvement dans le contexte des bouleversements révolutionnaires. Néanmoins, ce choix a placé la maison Erard au centre de la vie musicale européenne. Les harpistes modernes doivent parfois défendre leur instrument, mais ce n’était pas du tout le cas au XIXe siècle. Pendant longtemps, le piano et la harpe étaient aussi importants l’un que l’autre. Beaucoup de gens jouaient des deux instruments, et on les trouvait ensemble dans tous les salons ».

Il s’est avéré que ce sont également les harpes – ou, en tout cas, la branche londonienne – qui ont assuré la survie de l’entreprise. Jean-Baptiste Erard avait beaucoup investi à Paris, recrutant de nombreux ouvriers qualifiés, important de grandes quantités de bois précieux, et occupant d’énormes locaux rue du Mail. Les bouleversements de la Révolution française le plongent dans une crise financière, allant jusqu’à la faillite en février 1813.

Espérant que Sébastien Erard reviendra de sa fabrique de harpes à Great Marlborough Street pour l’aider à Paris, Jean-Baptiste le persuade de prendre son fils : Pierre Erard, âgé de vingt ans à l’époque et désireux de devenir facteur de harpes. La sonorité plus ample de sa harpe gothique est devenue une référence, bien qu’il n’ait pas présenté son nouveau modèle avant la mort de Sébastien. Bien avant cela, cependant, Pierre s’est révélé être un « gestionnaire de génie », comme le décrit Robert Adelson. « Pierre n’est pas aussi connu que son oncle, mais c’est un personnage au moins aussi important. Sa gestion de la firme londonienne s’est avérée magistrale, et il a également été capable d’envoyer de l’argent à Paris tous les mois, sauvant ainsi cette entreprise. »

Les anecdotes sur Pierre Erard dormant sous une housse de harpe sur la route, et rêvant qu’il s’était transformé en harpe, peuvent rappeler des souvenirs à certains lecteurs de cet article. Il était lui-même un bon harpiste, regrettant que son métier ne lui laisse que peu de temps pour s’exercer, mais il adorait son travail. Sa rivalité avec Dizi allait du duel au pistolet à la composition d’œuvres pour mettre en valeur les instruments : « Dizi doit pester contre moi », écrit-il à Sébastien en 1815, « car il me trouve souvent dans son chemin ». À ce titre, il a contribué à diffuser les innovations de son oncle. « En ce qui concerne leurs instruments, les musiciens sont par nature assez conservateurs », explique Robert Adelson. « Cela peut paraître surprenant, mais la raison en est simple. Apprendre à jouer d’un instrument implique la maîtrise de milliers de micromouvements, vous ne voudrez donc pas les réapprendre à moins d’y être obligé. En outre, la harpe est un instrument de grande taille et coûteux, vous pouvez donc imaginer qu’au XIXe siècle, si vous veniez d’acheter une harpe à simple mouvement, il aurait fallu déployer de solides arguments pour vous convaincre de la changer. Pierre a travaillé sans relâche pour faire accepter les harpes Erard par les musiciens. C’était un partenariat très important, mais il faut préciser que Pierre commercialisait des harpes de qualité vraiment exceptionnelle. Il est étonnant de voir avec quelle rapidité et quelle précocité Sébastien arrivait à analyser et à résoudre les problèmes de fabrication de la harpe. Il a mis des disques à fourchettes dès sa toute première harpe. On s’attendrait à ce qu’un facteur de harpes construise comme ses maîtres pendant un certain temps, puis innove plus tard. Aujourd’hui, 230 ans plus tard, nous utilisons toujours ces fourchettes. »

En 1851, une harpe Erard a reçu le seul prix pour les instruments de musique à la Grande Exposition de Crystal Palace, et Pierre Erard a ouvert une nouvelle usine splendide à South Kensington. À la mort de Pierre en 1855, son cortège funèbre contenait des musiciens tels que Hector Berlioz, Félix Godefroid, Théodore Labarre, Jean-Baptiste Vuillaume. « Pour la première fois depuis plus de quatre-vingts ans », écrit Robert Adelson (p. 146), « il n’y avait plus de génie inventif à la tête de l’entreprise familiale ». Ni Sébastien, ni Pierre et sa femme Camille n’ont eu d’enfants, et la société a fusionné avec Pleyel et Gaveau en 1961, avant une décennie calme pour la fabrication de harpes françaises dans les années 1970.

Pourtant, comme le conclut Robert Adelson, les harpes Erard ne se sont jamais tues. Les instruments vivent dans les mains des artistes qui en jouent, et les Erard ont été choisies par Alphonse Hasselmans, puis par son successeur au Conservatoire de Paris, Marcel Tournier. L’héritage se poursuit avec leurs élèves : Henriette Renié, Carlos Salzedo, Lily Laskine, Nicanor Zabeleta, Micheline Kahn, Marcel Grandjany, Pierre Jamet, Jacqueline Borot, Mireille Flour, Sidonie Goosens, Denise Mégevand…en ce sens, tant de harpistes dans le monde aujourd’hui, quelque part dans leur ADN, ont et continuent le génie d’Erard.

 

 

Vous voulez en savoir plus ? Erard : L’Empire de la Harpe est disponible ici sur la boutique en ligne de Camac. Robert Adelson donnera également une conférence sur ses recherches au Festival Camac le samedi 22 octobre à 10 heures à l’Espace Camac de Paris. Les réservations peuvent être faites en ligne ici (mais faites vite, car à l’heure où nous écrivons ces lignes, nous sommes presque complets).

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